Les écrits de Loïc Silence Devigne
Loïc "Silence" DEVIGNE est né en 1981 à Saint-Etienne (France). Issu d'un milieu très rural, il s'y sent rapidement différent du fait de certaines mentalités et s'en détache vite. (Il y reviendra plus tard, plus serein). Découvrant la scène rock underground, il assiste religieusement à ses premiers concerts et se gave de disques et de littérature. N'ayant que peu de moyens, il loue à Lyon une chambre minable infestée de cafards et y étudie l'archéologie, mais il est frustré par le manque de matières traitant de l'histoire pré-colombienne. Il quitte la faculté le jour des examens pour partir en tournée avec son groupe de rock-punk.
Voyageant, faisant divers travaux pour subsister entre concerts et enregistrements, il vit dans un certain chaos psychologique et psychotrope, puis retourne à la campagne où il trouve un relatif équilibre et y élève son fils depuis 2009. Depuis, il conjugue écriture de nouvelles, essais, chroniques pour des magazines, et musique (son nouveau projet folk "Silence" dans lequel il écrit et interprète ses chansons). Passionné d'ethnomusicologie, notamment du genre traditionnel-folk américain, Loïc Devigne n'écrit toutefois pas seulement sur la musique, et continue à travailler sur de futures nouvelles qui vont de l'anticipation au roman psycho-social, distillant toute une palette d'émotions et d'états d'âme chez des personnages souvent marqués au fer rouge par la vie et la société actuelle, quand les écrits de loïc se déroulent dans cette société et non pas dans un cadre purement fictif et tordu comme il est parfois le cas. Loïc est touché par divers auteurs dont H.G Wells, Phillip K. Dick, William Burroughs, Howard Buten, Lester Bangs, Salinger, Albert Camus, F. Kafka, Alan Lomax, Hemmingway, Peter Guralnick ou encore Robert Crumb et Jean Genêt. "Deux chansons américaines" est son premier ouvrage publié: Vous trouverez ci-bas son descriptif. |
Résumé de "Deux chansons américaines" (édité chez 7ecrit éditions): |
Ces deux nouvelles ("Entre chien et loup" et "Si Dieu le veut") sont des parallèles. Côte à côte, des vies remplies de ce que l'Amérique leur a donné de meilleur et de pire. Sur fond de musique country-blues, folk, rock, des femmes et des hommes en proie à un espoir, parfois vain, envers une nation qui a certes fait d'eux des artistes, mais qui a aussi engendré le K.K.K., les lois Jim Crow et un certain fanatisme religieux. Tout en paradoxe, ces nouvelles mélangent amour, haine de soi et des autres, drogues, art populaire, mais surtout coeur et passion. |
Bibliographie:
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"Deux chansons américaines: overdose d'honneur et déshonneur" (nouvelles "Entre chien et loup" et "Si Dieu le veut") paru en mars 2016 sur 7Ecrit éditions. Disponible en stock ou commande chez votre libraire, ou FNAC, Cultura, Amazon, Leclerc culture en broché ou E-book. "Témoignages schizoïdes d'avant l'orage" (2010-2016) Recueil de nouvelles et articles déviants et tordus, à paraitre chez BRUME Prod. fin 2016-début 2017. + Divers textes, interviews et chroniques musicales dans le webzine "Froggy's Delight" et le magazine "Zyva" CONTACT: [email protected] ______________________________________________________________________________________ |
LE SOURIRE DE LITTLE JOE
Little Joe était bien dans sa peau.Détendu, il riait de bon coeur, sans aucune retenue, car il savait que la retenue n'avait pas lieu d'être lorsqu'il était en compagnie de Tom, son meilleur ami. Il faisait une chaleur étouffante en ce mois de Juin, mais les deux compères avaient trouvé un coin ombragé au bord du fleuve, et s'affairaient à attraper des poisson-chats avec leurs lignes minimalistes: un bout de ficelle paysanne, avec lesquelles on attache parfois les balles de coton, une aiguille tordue en guise d'hameçon,(ils se démenaient pendant longtemps pour pouvoir tordre les aiguilles sans les casser, en les chauffant au maximum), et quelques appâts chipés chez le père de Joe.
Les garçons avaient fort raison de profiter de leur jeunesse insouciante. En effet, ils arrivaient bientôt à l'âge où faudrait commencer le travail, même si déjà ils donnaient de sérieux coups de main à droite et à gauche. Little Joe et Tom avaient huit ans, et leurs familles étaient employées sur la même plantation. Ils étaient nés tous les deux à Port Arthur, une petite ville entre Houston, TX et la Louisiane. Mais suite à une pénurie de travail, les deux familles, très proches, avaient suivi la route vers l'Ouest et s'étaient fixés sur une plantation de coton non loin de Houston, au bord de la rivière Brazos. Cet affluent qui prend sa source dans les lointaines montagnes rocheuses se jette dans le Mississippi juste avant que celui-ci atteigne son delta (le vrai delta, non pas celui que l'on considère comme la région génitrice du blues rural, le "Delta blues"). la région était surtout connue pour son maïs et son blé d'hiver et de printemps, mais on trouvait ici et là du coton, culture présente dans d'autres régions du Texas. C'est dans le coton que la famille de Little Joe Steward et Tom Lyons passaient leur temps.
La pêche était fructueuse cet après-midi et la bonne humeur était de mise. Les deux garçons entendirent soudain des bruits de clapotis et un remue-ménage dans les herbes longeant la rive. Persuadés de pouvoir traquer quelque bête sauvage, ils s'excitèrent et puis reprirent leurs esprits et leur calme pour se cacher tranquillement dans le but d'observer un éventuel animal. La surprise fût grande: le spécimen n'était pas très poilu, ni plein d'écaille. Il était blanc de peau et avait une fort belle crinière blonde. Il s'agissait de la fille du patron de la ferme voisine. Celle -ci avait ôté ses vêtements et pataugeait dans l'eau grise. Sa silhouette était fine mais cette jeune fille était en passe de devenir une femme, ses formes plus que naissantes et sa toison d'entre-jambes étaient là en guise de preuve. Elle devait avoir quatorze ans, six de plus que les garçons
mateurs malgré eux. Cette situation cocasse les fit plus rire que cela les excita. En effet, pas encore pubères, ils étaient néamoins assez grands pour saisir le privilège qu'ils avaient de pouvoir admirer cette beauté nue en pleine baignade. Ils ne firent aucun bruit, jusqu'au moment où Tom fût pris d'une crampe et décida de changer de position. Mal lui en pris car il trébucha sur une pierre, et digne d'une cascade à la Buster Keaton, il se retrouva en deux secondes dans l'eau, à une dizaine de mètres de la fille. Celle-ci pouffa de rire car elle avait comprit le manège, voyant Little Joe penaud, la tête dépassant des broussailles. Elle nagea jusqu' à Tom pour s'assurer qu'il allait bien, et celui -ci s'enfuit avec frayeur: il avait peur que la jeune femme dénonce deux nègres qui la mataient durant sa baignade. Mais elle n'en fit rien, et les deux curieux n'eurent aucun problème.
Quelques minutes plus tard, ils se retrouvèrent un peu plus loin et rirent encore de la nudité et du blanc immaculé de cette peau qui leur semblait à la fois douce et étrangère.
Ils rirent des tétons pointus, des fesses qui remuaient dans l'eau, "hé, t'as vu sa chose, l'endroit tout poilu, moi, j'ai tout vu!" gloussait Tom. Et puis il fût temps pour eux de rentrer, même si Little Joe avait peine à quitter son ami, car il redoutait une ambiance médiocre à la maison. Mais le soleil avait baissé considérablement, il était tard.
La mère de Little Joe (sa taille minime lui vaut ce surnom) est décédé quand il avait six ans. Le médecin local n'avait pu la sauver alors que l'accouchement de son troisième enfant se passait mal. Elle avait perdu trop de sang pour résister. Son mari l'emmena d'urgence dans un hôpital où, hélas, on soignait en priorité les blancs.
Agonisant dans les couloirs, ayant perdu son nouveau-né des suites de multiples contusions, elle fut ramenée à la maison par son mari excédé et soignée tant bien que mal par le médecin qui l'avait accouché. Mais elle avait perdu trop de sang et mourut au bout de quelques jours. Une bien sale histoire. Le père de Little Joe se retrancha dans un tel mutisme que même les gens proches de lui ne purent le ramener vers une stabilité psychique. Au bout d'un an, son état s'améliora et il reprit goût à la vie.
Little Joe avait bien sûr souffert de cet épisode dramatique, mais sa joie de vivre et son optimisme reprirent aussi le dessus assez vite. Il faut dire qu'il gardait bien secret ses émotions. C'était un dur, il n'aimait pas parler de ses soucis ni même se plaindre. Au bout d'un temps, son père se mit en couple avec une nouvelle femme, sur les conseils de ses amis. Il semblait bien s'entendre avec celle qui allait être la belle-mère de Little Joe, mais avait du mal à gérer les crises de jalousie de celle-ci. Elle avait en effet des accès de colère soudains et fulgurants. Son compagnon, après quelques mois de vie commune, eu peur de s'être bel et bien trompé sur la nature de cette femme, mais il ne voulait pas supporter d'être à nouveau seul, et essaya de gérer les problèmes. Le môme de huit ans qui se trouvait au sein des disputes ne pouvait rien faire sinon se cacher sous l'escalier avec sa soeur et pester contre celle qu'il ne portait pas dans son coeur et qui ne remplacerai jamais sa mère. Il n'en disait rien à son père, mais il sentait bien que cette animosité était réciproque. Il ne comprenait d'ailleurs pas pourquoi: il n'avait pas pour habitude d'être détesté car c'était un garçon charmant, bon, et poli. Tout le quartier aimait Joe et Tom car c'étaient des gosses marrants et gentils. Mais cette vipère de Sharon, c'était son nom, ne voyait pas les choses ainsi. Elle se plaignait constamment du gamin, l'accusant d'être flemmard, et même de voler ses effets personnels.(ce qui était bien insensé).
Les virées dans la campagne avec l'ami Tom étaient pour Little Joe un exutoire, et sa gaieté une réponse alternative à la vie pesante de la maison. Il réagissait, comme pour oublier, en étant avenant et plein d'empathie, ce qui allait justement à l'encontre du portrait que brossait sa belle-mère, le décrivant à son nouvel époux comme un gosse difficile et ingérable. En effet, le père de Joe s'était bien remarié avec Sharon. Il se rendait compte des problèmes mais se dit, un peu bêtement, que le temps effacerai peu à peu les conflits. Et surtout il n'imaginait pas à quel point la jalousie et l'aigreur rongeait sa femme, qui traitait Little Joe comme un véritable souffre-douleur.
Elle était envieuse de l'amour que le père portait à son fils, et imaginait que son mari le trompait constamment, ce qui était faux. Quand il n'était pas là, c'est le gamin qui trinquait, et parfois de façon bien violente.
Un jour d'été, Little Joe pénétra chez lui, trouvant là Sharon en train de gémir et s'arracher les cheveux. Elle se mit à déblatérer des immondices sur son mari, l'accusant d'adultère, et dans un flot de paroles et de lamentations, elle se tourna vers Joe et fixa son regard sur les grands yeux noirs du gosse. Ce dernier sentait que la situation n'était pas rassurante et il fut pris de panique, incapable de bouger. La folle qui se tenait à quelques pas commença par rejeter les fautes sur lui, et dit qu'il devait payer pour ses erreurs (lesquelles? Dieu seul le sait). Elle saisit une fiole dans la poche extérieure de sa robe d'un rouge sang, l'ouvrit, et avec une rapidité déconcertante, attrapa son beau-fils par les cheveux pour l'empêcher de bouger la tête. Puis en une seconde, elle versa le contenu de la fiole sur ses yeux. Dans sa fureur, Sharon quitta la maison en trébuchant et se cogna le crâne sur le montant de la porte. Elle passa sa main sur l'endroit du choc et vit qu'elle saignait abondement. Prenant ses jambes à son cou, elle laissa Little Joe seul dans la petite maison. Elle venait de lui vider quelques centilitres de vitriol sur le visage, quantité suffisante pour l'aveugler définitivement.
En effet, Joe hurlait de douleur et commençait à perdre la vue. Tout d'abord, il vit de manière floue les choses autour de lui, puis tout s'assombrit, jusqu'à tomber dans un crépuscule de plus en plus fonçé. Le jeune garçon, malgré l'aide du médecin, ne revit plus jamais la couleur des champs et des rives du fleuve où il allait jadis pêcher.
Son père écouta le témoignage de Joe. Celui-ci eu d'abord peur qu'il soit incrédule, "aveuglé" lui aussi, par l'amour qu'il portait tout de même pour Sharon. Mais ce ne fut pas le cas. Il cru son fils et se lança à la recherche de Sharon pour qu'elle soit punie et condamnée. Il n'arriva jamais à mettre la main sur elle, mais recueillit divers témoignages de gens qui l'avaient aperçu.Elle aurait erré de bar en bar, la tête bandée maculée de sang. On l'aurai vu sur la route de la Nouvelle-Orléans, ayant quitté le Texas, recherchée par la police pour vol et tentative de meurtre. Il était clair qu'elle avait complètement disjoncté. La vérité était ainsi: elle avait bel et bien prit la direction de l'est, vers Port-Arthur, puis était arrivée en Louisiane où elle trouva un emploi dans un bordel, d'où elle se fit jeter à cause de ses problèmes psychiatriques évidents. En effet, elle avait agressé plusieurs clients, sans raison aucune, et avait donc pris la porte, se prostituant dès lors dans les rues de New-Orleans. Devenant de plus en plus folle, elle ne parvenait pas à satisfaire ses clients et fut alors à cours d'argent. Elle se mit à voler et la police se mit à sa recherche. Elle assomma un policier avec une caillasse, un soir, dans une petite ruelle. Enfin elle fût mise en cellule, passant des mois entre délires psychotiques s'aggravant et objet sexuel des autres détenus.
Ayant mordu au sang un gardien de prison, on la transféra dans un autre quartier où, seule, elle ne pouvait pas faire de mal, pour la première fois depuis longtemps. Par compassion, on peut dire que son isolement a au moins mis fin aux abus pervers des autres prisonniers sur son pauvre corps décharné. Elle se laissa mourir de faim et ainsi périt-elle, au sommet de sa folie.
Le père de Joe ne voulut pas se remarier de sitôt. Le jeune garçon, lui, voulut quitter sa famille le jour de ses treize ans: dans l'impossibilité de travailler dans le coton, ou tout
autre domaine manuel, et son père n'ayant que peu d'argent pour l'entretenir, il lui fallu trouver une alternative. Depuis ses neuf ans, outre ses sorties avec Tom, il assistait avec assiduité et ferveur aux rencontres de musiciens itinérants, des artistes de passage qui accompagnaient les quelques figures locales au banjo et au violon, puis quelques temps plus tard, à la guitare et à l'harmonica. Si ces musiciens se produisaient parfois en journée, lors de repas ou pique-niques, Little Joe devait parfois sortir en douce le soir pour écouter, caché, les sonorités sortant du tripot voisin. Pour lui, sa cécité lui imposait de devenir artiste, et il fit tout pour imiter ceux qu'il "observait avec les oreilles" comme il avait coutume de dire. Ne pouvant pas voir réellement les manières de jouer des autres, il se fiait aux son uniquement. Mais il avait un mal fou à jouer
avec cette guitare de breloque payée une misère dans un bazar voisin. Il devait régler et accorder les quatres cordes restantes au bout de deux minutes, ce qui le forçait
à composer des chansons inférieures à ce temps-là.Il voulait plus que tout gagner sa croûte avec la musique. Il n'avait pas d'autre choix de toute façon.
Un jour, il s'entraînait sur le porche de la maison de Tom quand son ami dû s'absenter un instant. Au moment où Joe était seul, il sentit une présence et entendit une voix de vieille femme. Il ne l'avait pas entendu arriver. Elle se présenta. D'un son graveleux, elle dit s'appeler Wendell Gee et qu'elle pouvait aider le jeune homme à réaliser son souhait: partir de la maison pour devenir musicien. Elle lui exposa son plan: tout d'abord, ce marché devait rester confidentiel. Joe devait se rendre à un endroit précis à la tombée de la nuit, ce lieu étant le carrefour des deux routes importantes de la bourgade. Vers minuit, Joe devait prendre sa guitare, jouer un morceau, et un grand esprit noir était sensé arriver, accorder son instrument, jouer un morceau et rendre la guitare au jeune homme. A partir de là,selon la vieille femme, Joe serai un virtuose capable de s'enrichir avec son art. Joe avait déjà entendu de la bouche de son père ces histoires de musiciens ayant vendu leur âme au diable et il n'était pas crédule, il se méfiait de tout cela. On lui avait conté le pacte qu'un bluesman du Mississippi avait fait et combien il l'avait payé cher, mort empoisonné dans une agonie terrible. Deuxièmement, sa cécité risquait de lui poser problème pour se rendre seul au rendez-vous, de nuit et loin de chez lui. Il n'avait qu'à moitié confiance en cette femme surgie de nulle part. Il lui dit qu'il allait réfléchir et qu'il aviserai le moment voulu. La vieille dame lui dit que s'il acceptait le marché, il lui faudrait cependant reconnaître sa dette envers elle, et qu'elle viendrait un jour à nouveau pour qu'il lui rende son service. Une seconde plus tard, Joe sentit qu'elle n'était plus là, son odeur et sa voix disparus pour de bon. Curieuse chose; le garçon n'entendis pas les pas lourds de la vieillarde, il ne su pas comment elle était partie.
Le côté droit et bon de Little Joe lui disait de ne pas se rendre au rendez-vous nocturne. Mais une petite voix de plus en plus présente lui conseillait le contraire. Après tout, que risquait t-il vraiment? Au pire, rien ne se passerai et au mieux, il pourrai gagner sa vie moyennant un service quelconque. Mais ce qu'il ne savait pas, c'est que la vieillarde était la survivance de Sharon, morte dans une prison sordide. Son esprit, sous des traits vieillis, sous une autre enveloppe charnelle, s'était manifesté et était rempli de vengeance et de haine, bien destiné à faire encore du mal en dépit de son état vaseux de fantôme qui s'incarnait parfois pour accomplir une sale besogne.
Joe avait choisi. Il arriva à la tombée de la nuit, pensant encore que ce n'était peut-être qu'une farce. Il peina à gagner le carrefour, la nuit étant pour lui un autre monde de sons et de bruits auquel il se fiait pour avancer, et cela signifiait aussi l'absence de passants pour le guider et l'aider à trouver son chemin. Mais il était présent, au bon endroit et au bon moment. Encore fallait-il attendre l'heure fatidique pour dégainer sa guitare. Joe s'assit sur un rocher et patienta.
Un moment plus tard, le vieux Jack, un métayer du coin, traquait depuis la fin de la journée un coyote malfaisant qui en voulait à ses poules. Il passa avec un vieux véhicule qu'on lui avait prêté non loin de l'intersection où Joe était en train de jouer l'une de ses plus belles compositions, attendant l'arrivée du grand homme noir qui lui accorderai son instrument. Le vieux Jack s'arrêta, ne pensant pas un instant qu'un hurluberlu pouvait se tenir à cet endroit en pleine nuit. Le ciel était cependant assez clair pour que le fermier distingue le mouvement d'un être. Abruti par des rasades de whisky, prenant Joe pour son fameux coyote, il chargea son fusil et tira deux coups. Le premier atteint le jeune homme en pleine tête, le deuxième, (accessoirement, car le coup initial avait été fatal) dans l'estomac.
On retrouva le corps du futur prodige de la guitare le lendemain matin, avec un air étrange au coin des lèvres. Joe souriait, comme à son habitude. On peut même dire qu'il semblait rire de bon coeur. C'était un petit gars d'un optimisme à toute épreuve. La nuit suivante, le coyote tua trois poules, et le vieux Jack retrouva une fiole de vitriol dans son enclos.
FIN
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Little Joe était bien dans sa peau.Détendu, il riait de bon coeur, sans aucune retenue, car il savait que la retenue n'avait pas lieu d'être lorsqu'il était en compagnie de Tom, son meilleur ami. Il faisait une chaleur étouffante en ce mois de Juin, mais les deux compères avaient trouvé un coin ombragé au bord du fleuve, et s'affairaient à attraper des poisson-chats avec leurs lignes minimalistes: un bout de ficelle paysanne, avec lesquelles on attache parfois les balles de coton, une aiguille tordue en guise d'hameçon,(ils se démenaient pendant longtemps pour pouvoir tordre les aiguilles sans les casser, en les chauffant au maximum), et quelques appâts chipés chez le père de Joe.
Les garçons avaient fort raison de profiter de leur jeunesse insouciante. En effet, ils arrivaient bientôt à l'âge où faudrait commencer le travail, même si déjà ils donnaient de sérieux coups de main à droite et à gauche. Little Joe et Tom avaient huit ans, et leurs familles étaient employées sur la même plantation. Ils étaient nés tous les deux à Port Arthur, une petite ville entre Houston, TX et la Louisiane. Mais suite à une pénurie de travail, les deux familles, très proches, avaient suivi la route vers l'Ouest et s'étaient fixés sur une plantation de coton non loin de Houston, au bord de la rivière Brazos. Cet affluent qui prend sa source dans les lointaines montagnes rocheuses se jette dans le Mississippi juste avant que celui-ci atteigne son delta (le vrai delta, non pas celui que l'on considère comme la région génitrice du blues rural, le "Delta blues"). la région était surtout connue pour son maïs et son blé d'hiver et de printemps, mais on trouvait ici et là du coton, culture présente dans d'autres régions du Texas. C'est dans le coton que la famille de Little Joe Steward et Tom Lyons passaient leur temps.
La pêche était fructueuse cet après-midi et la bonne humeur était de mise. Les deux garçons entendirent soudain des bruits de clapotis et un remue-ménage dans les herbes longeant la rive. Persuadés de pouvoir traquer quelque bête sauvage, ils s'excitèrent et puis reprirent leurs esprits et leur calme pour se cacher tranquillement dans le but d'observer un éventuel animal. La surprise fût grande: le spécimen n'était pas très poilu, ni plein d'écaille. Il était blanc de peau et avait une fort belle crinière blonde. Il s'agissait de la fille du patron de la ferme voisine. Celle -ci avait ôté ses vêtements et pataugeait dans l'eau grise. Sa silhouette était fine mais cette jeune fille était en passe de devenir une femme, ses formes plus que naissantes et sa toison d'entre-jambes étaient là en guise de preuve. Elle devait avoir quatorze ans, six de plus que les garçons
mateurs malgré eux. Cette situation cocasse les fit plus rire que cela les excita. En effet, pas encore pubères, ils étaient néamoins assez grands pour saisir le privilège qu'ils avaient de pouvoir admirer cette beauté nue en pleine baignade. Ils ne firent aucun bruit, jusqu'au moment où Tom fût pris d'une crampe et décida de changer de position. Mal lui en pris car il trébucha sur une pierre, et digne d'une cascade à la Buster Keaton, il se retrouva en deux secondes dans l'eau, à une dizaine de mètres de la fille. Celle-ci pouffa de rire car elle avait comprit le manège, voyant Little Joe penaud, la tête dépassant des broussailles. Elle nagea jusqu' à Tom pour s'assurer qu'il allait bien, et celui -ci s'enfuit avec frayeur: il avait peur que la jeune femme dénonce deux nègres qui la mataient durant sa baignade. Mais elle n'en fit rien, et les deux curieux n'eurent aucun problème.
Quelques minutes plus tard, ils se retrouvèrent un peu plus loin et rirent encore de la nudité et du blanc immaculé de cette peau qui leur semblait à la fois douce et étrangère.
Ils rirent des tétons pointus, des fesses qui remuaient dans l'eau, "hé, t'as vu sa chose, l'endroit tout poilu, moi, j'ai tout vu!" gloussait Tom. Et puis il fût temps pour eux de rentrer, même si Little Joe avait peine à quitter son ami, car il redoutait une ambiance médiocre à la maison. Mais le soleil avait baissé considérablement, il était tard.
La mère de Little Joe (sa taille minime lui vaut ce surnom) est décédé quand il avait six ans. Le médecin local n'avait pu la sauver alors que l'accouchement de son troisième enfant se passait mal. Elle avait perdu trop de sang pour résister. Son mari l'emmena d'urgence dans un hôpital où, hélas, on soignait en priorité les blancs.
Agonisant dans les couloirs, ayant perdu son nouveau-né des suites de multiples contusions, elle fut ramenée à la maison par son mari excédé et soignée tant bien que mal par le médecin qui l'avait accouché. Mais elle avait perdu trop de sang et mourut au bout de quelques jours. Une bien sale histoire. Le père de Little Joe se retrancha dans un tel mutisme que même les gens proches de lui ne purent le ramener vers une stabilité psychique. Au bout d'un an, son état s'améliora et il reprit goût à la vie.
Little Joe avait bien sûr souffert de cet épisode dramatique, mais sa joie de vivre et son optimisme reprirent aussi le dessus assez vite. Il faut dire qu'il gardait bien secret ses émotions. C'était un dur, il n'aimait pas parler de ses soucis ni même se plaindre. Au bout d'un temps, son père se mit en couple avec une nouvelle femme, sur les conseils de ses amis. Il semblait bien s'entendre avec celle qui allait être la belle-mère de Little Joe, mais avait du mal à gérer les crises de jalousie de celle-ci. Elle avait en effet des accès de colère soudains et fulgurants. Son compagnon, après quelques mois de vie commune, eu peur de s'être bel et bien trompé sur la nature de cette femme, mais il ne voulait pas supporter d'être à nouveau seul, et essaya de gérer les problèmes. Le môme de huit ans qui se trouvait au sein des disputes ne pouvait rien faire sinon se cacher sous l'escalier avec sa soeur et pester contre celle qu'il ne portait pas dans son coeur et qui ne remplacerai jamais sa mère. Il n'en disait rien à son père, mais il sentait bien que cette animosité était réciproque. Il ne comprenait d'ailleurs pas pourquoi: il n'avait pas pour habitude d'être détesté car c'était un garçon charmant, bon, et poli. Tout le quartier aimait Joe et Tom car c'étaient des gosses marrants et gentils. Mais cette vipère de Sharon, c'était son nom, ne voyait pas les choses ainsi. Elle se plaignait constamment du gamin, l'accusant d'être flemmard, et même de voler ses effets personnels.(ce qui était bien insensé).
Les virées dans la campagne avec l'ami Tom étaient pour Little Joe un exutoire, et sa gaieté une réponse alternative à la vie pesante de la maison. Il réagissait, comme pour oublier, en étant avenant et plein d'empathie, ce qui allait justement à l'encontre du portrait que brossait sa belle-mère, le décrivant à son nouvel époux comme un gosse difficile et ingérable. En effet, le père de Joe s'était bien remarié avec Sharon. Il se rendait compte des problèmes mais se dit, un peu bêtement, que le temps effacerai peu à peu les conflits. Et surtout il n'imaginait pas à quel point la jalousie et l'aigreur rongeait sa femme, qui traitait Little Joe comme un véritable souffre-douleur.
Elle était envieuse de l'amour que le père portait à son fils, et imaginait que son mari le trompait constamment, ce qui était faux. Quand il n'était pas là, c'est le gamin qui trinquait, et parfois de façon bien violente.
Un jour d'été, Little Joe pénétra chez lui, trouvant là Sharon en train de gémir et s'arracher les cheveux. Elle se mit à déblatérer des immondices sur son mari, l'accusant d'adultère, et dans un flot de paroles et de lamentations, elle se tourna vers Joe et fixa son regard sur les grands yeux noirs du gosse. Ce dernier sentait que la situation n'était pas rassurante et il fut pris de panique, incapable de bouger. La folle qui se tenait à quelques pas commença par rejeter les fautes sur lui, et dit qu'il devait payer pour ses erreurs (lesquelles? Dieu seul le sait). Elle saisit une fiole dans la poche extérieure de sa robe d'un rouge sang, l'ouvrit, et avec une rapidité déconcertante, attrapa son beau-fils par les cheveux pour l'empêcher de bouger la tête. Puis en une seconde, elle versa le contenu de la fiole sur ses yeux. Dans sa fureur, Sharon quitta la maison en trébuchant et se cogna le crâne sur le montant de la porte. Elle passa sa main sur l'endroit du choc et vit qu'elle saignait abondement. Prenant ses jambes à son cou, elle laissa Little Joe seul dans la petite maison. Elle venait de lui vider quelques centilitres de vitriol sur le visage, quantité suffisante pour l'aveugler définitivement.
En effet, Joe hurlait de douleur et commençait à perdre la vue. Tout d'abord, il vit de manière floue les choses autour de lui, puis tout s'assombrit, jusqu'à tomber dans un crépuscule de plus en plus fonçé. Le jeune garçon, malgré l'aide du médecin, ne revit plus jamais la couleur des champs et des rives du fleuve où il allait jadis pêcher.
Son père écouta le témoignage de Joe. Celui-ci eu d'abord peur qu'il soit incrédule, "aveuglé" lui aussi, par l'amour qu'il portait tout de même pour Sharon. Mais ce ne fut pas le cas. Il cru son fils et se lança à la recherche de Sharon pour qu'elle soit punie et condamnée. Il n'arriva jamais à mettre la main sur elle, mais recueillit divers témoignages de gens qui l'avaient aperçu.Elle aurait erré de bar en bar, la tête bandée maculée de sang. On l'aurai vu sur la route de la Nouvelle-Orléans, ayant quitté le Texas, recherchée par la police pour vol et tentative de meurtre. Il était clair qu'elle avait complètement disjoncté. La vérité était ainsi: elle avait bel et bien prit la direction de l'est, vers Port-Arthur, puis était arrivée en Louisiane où elle trouva un emploi dans un bordel, d'où elle se fit jeter à cause de ses problèmes psychiatriques évidents. En effet, elle avait agressé plusieurs clients, sans raison aucune, et avait donc pris la porte, se prostituant dès lors dans les rues de New-Orleans. Devenant de plus en plus folle, elle ne parvenait pas à satisfaire ses clients et fut alors à cours d'argent. Elle se mit à voler et la police se mit à sa recherche. Elle assomma un policier avec une caillasse, un soir, dans une petite ruelle. Enfin elle fût mise en cellule, passant des mois entre délires psychotiques s'aggravant et objet sexuel des autres détenus.
Ayant mordu au sang un gardien de prison, on la transféra dans un autre quartier où, seule, elle ne pouvait pas faire de mal, pour la première fois depuis longtemps. Par compassion, on peut dire que son isolement a au moins mis fin aux abus pervers des autres prisonniers sur son pauvre corps décharné. Elle se laissa mourir de faim et ainsi périt-elle, au sommet de sa folie.
Le père de Joe ne voulut pas se remarier de sitôt. Le jeune garçon, lui, voulut quitter sa famille le jour de ses treize ans: dans l'impossibilité de travailler dans le coton, ou tout
autre domaine manuel, et son père n'ayant que peu d'argent pour l'entretenir, il lui fallu trouver une alternative. Depuis ses neuf ans, outre ses sorties avec Tom, il assistait avec assiduité et ferveur aux rencontres de musiciens itinérants, des artistes de passage qui accompagnaient les quelques figures locales au banjo et au violon, puis quelques temps plus tard, à la guitare et à l'harmonica. Si ces musiciens se produisaient parfois en journée, lors de repas ou pique-niques, Little Joe devait parfois sortir en douce le soir pour écouter, caché, les sonorités sortant du tripot voisin. Pour lui, sa cécité lui imposait de devenir artiste, et il fit tout pour imiter ceux qu'il "observait avec les oreilles" comme il avait coutume de dire. Ne pouvant pas voir réellement les manières de jouer des autres, il se fiait aux son uniquement. Mais il avait un mal fou à jouer
avec cette guitare de breloque payée une misère dans un bazar voisin. Il devait régler et accorder les quatres cordes restantes au bout de deux minutes, ce qui le forçait
à composer des chansons inférieures à ce temps-là.Il voulait plus que tout gagner sa croûte avec la musique. Il n'avait pas d'autre choix de toute façon.
Un jour, il s'entraînait sur le porche de la maison de Tom quand son ami dû s'absenter un instant. Au moment où Joe était seul, il sentit une présence et entendit une voix de vieille femme. Il ne l'avait pas entendu arriver. Elle se présenta. D'un son graveleux, elle dit s'appeler Wendell Gee et qu'elle pouvait aider le jeune homme à réaliser son souhait: partir de la maison pour devenir musicien. Elle lui exposa son plan: tout d'abord, ce marché devait rester confidentiel. Joe devait se rendre à un endroit précis à la tombée de la nuit, ce lieu étant le carrefour des deux routes importantes de la bourgade. Vers minuit, Joe devait prendre sa guitare, jouer un morceau, et un grand esprit noir était sensé arriver, accorder son instrument, jouer un morceau et rendre la guitare au jeune homme. A partir de là,selon la vieille femme, Joe serai un virtuose capable de s'enrichir avec son art. Joe avait déjà entendu de la bouche de son père ces histoires de musiciens ayant vendu leur âme au diable et il n'était pas crédule, il se méfiait de tout cela. On lui avait conté le pacte qu'un bluesman du Mississippi avait fait et combien il l'avait payé cher, mort empoisonné dans une agonie terrible. Deuxièmement, sa cécité risquait de lui poser problème pour se rendre seul au rendez-vous, de nuit et loin de chez lui. Il n'avait qu'à moitié confiance en cette femme surgie de nulle part. Il lui dit qu'il allait réfléchir et qu'il aviserai le moment voulu. La vieille dame lui dit que s'il acceptait le marché, il lui faudrait cependant reconnaître sa dette envers elle, et qu'elle viendrait un jour à nouveau pour qu'il lui rende son service. Une seconde plus tard, Joe sentit qu'elle n'était plus là, son odeur et sa voix disparus pour de bon. Curieuse chose; le garçon n'entendis pas les pas lourds de la vieillarde, il ne su pas comment elle était partie.
Le côté droit et bon de Little Joe lui disait de ne pas se rendre au rendez-vous nocturne. Mais une petite voix de plus en plus présente lui conseillait le contraire. Après tout, que risquait t-il vraiment? Au pire, rien ne se passerai et au mieux, il pourrai gagner sa vie moyennant un service quelconque. Mais ce qu'il ne savait pas, c'est que la vieillarde était la survivance de Sharon, morte dans une prison sordide. Son esprit, sous des traits vieillis, sous une autre enveloppe charnelle, s'était manifesté et était rempli de vengeance et de haine, bien destiné à faire encore du mal en dépit de son état vaseux de fantôme qui s'incarnait parfois pour accomplir une sale besogne.
Joe avait choisi. Il arriva à la tombée de la nuit, pensant encore que ce n'était peut-être qu'une farce. Il peina à gagner le carrefour, la nuit étant pour lui un autre monde de sons et de bruits auquel il se fiait pour avancer, et cela signifiait aussi l'absence de passants pour le guider et l'aider à trouver son chemin. Mais il était présent, au bon endroit et au bon moment. Encore fallait-il attendre l'heure fatidique pour dégainer sa guitare. Joe s'assit sur un rocher et patienta.
Un moment plus tard, le vieux Jack, un métayer du coin, traquait depuis la fin de la journée un coyote malfaisant qui en voulait à ses poules. Il passa avec un vieux véhicule qu'on lui avait prêté non loin de l'intersection où Joe était en train de jouer l'une de ses plus belles compositions, attendant l'arrivée du grand homme noir qui lui accorderai son instrument. Le vieux Jack s'arrêta, ne pensant pas un instant qu'un hurluberlu pouvait se tenir à cet endroit en pleine nuit. Le ciel était cependant assez clair pour que le fermier distingue le mouvement d'un être. Abruti par des rasades de whisky, prenant Joe pour son fameux coyote, il chargea son fusil et tira deux coups. Le premier atteint le jeune homme en pleine tête, le deuxième, (accessoirement, car le coup initial avait été fatal) dans l'estomac.
On retrouva le corps du futur prodige de la guitare le lendemain matin, avec un air étrange au coin des lèvres. Joe souriait, comme à son habitude. On peut même dire qu'il semblait rire de bon coeur. C'était un petit gars d'un optimisme à toute épreuve. La nuit suivante, le coyote tua trois poules, et le vieux Jack retrouva une fiole de vitriol dans son enclos.
FIN
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CHRONIQUE DE DISQUE POUR LE MAGAZINE FROGGY'S DELIGHT:
WEED, EPONYME 1971 : Si le talent payait.... Et oui, je suis encore tombé sur l'une de ces pépites dont tout le monde se fiche royalement, un groupe qu'on qualifiera facilement de « mineur » si l'on se fie aux ventes, à la promotion et enfin à la critique dont ne bénéficièrent guère les membres de ce collectif germano-anglais nommé Weed. Attention, ne confondez pas avec le combo métal sludge de Vancouver actuel, ou bien avec The Weeds, combo pop des sixtees. En regardant la pochette de Weed, rien, vraiment rien ne me laissait présager une telle claque. Je me suis alors revu en 1996 quand, dans la boutique exiguë d'un disquaire stéphanois, je tombais sur « Crack attack » des obscurs Big Stick, dont le seul honneur public était leur signature sur Blast First, premier label des Sonic Youth et d'autres pointures alternatives. Mais autour de moi, personne ne connaissait ne serait-ce que le nom. Et leur disque m'a donné une droite dans la tronche dont je me rappelle dans les moindres détails. Leur pochette était intriguante et louche, leurs têtes déguisées risibles, mais la musique ne mentait pas. Et elle continue de me prêcher ses vérités avec Weed : la dame sur la pochette sourit d'un air malsain comme si sa bouche allait éclater, entourée de couleurs flashy qui filent la gerbe. Ni psyché, ni pop art, juste un air d’encart publicitaire pour nourriture canine. Évidemment, l'on sait peu de choses sur ce « collectif ». J'explique l'emploi de ce terme : le Britannique Ken Hensley, connu pour son jeu de clavier et de guitare sur les premiers disques du groupe hard-prog « Uriah Heep », qui, soit dit en passant, a parfois fait de la musique de qualité, hélas pour moi gâchée par les voix sur- aïgues du chanteur, à la limite de Spinal Tap. En tout cas, Hensley donnait du bon à ce projet grâce à un talent évident, mais je pense qu'il s'est senti à l'étroit dans Uriah Heep au point de s'entourer de nouveaux partenaires : trois allemands évoluant dans la sphère du Krautrock, toutefois à tendance heavy-rock. Ce qui sortira de ce mélange de background, de culture et d'influences est l'album éponyme de Weed , enregistré et sorti confidentiellement en 1971. 6 titres, 31 minutes. A l'époque, Hensley est entre deux disques de son groupe (« Salisbury » et « Look at yourself ») et songe à une carrière solo. L'expérience avec ces allemands va le forcer à explorer de nouveaux espaces et à apprendre à se remettre en question. J'ai également lu que Weed ressemblait vaguement à certains disques solos du claviériste, devenu avec son nouveau projet compositeur, chanteur et leader du groupe. Après une rapide écoute, rien dans sa discographie n'égale Weed. Dès la première chanson, tout est dit. Ou plutôt tout est prédit, car sinon ce serait un peu ennuyeux ! Un chaos de guitares introduit le titre assez lourdingue « Sweet morning light ». Ce qui fait souvent défaut au groupes de rock un peu bruyants est souvent la présence d'un bon chanteur, qui sait poser sa voix et écrire des textes simples et cinglants. Et là, on est servi : le chant très détaché, presque insolent, est parfaitement soutenu, ça ne rigole pas. Les guitares crient, supplient, invoquent, dans des parties de solos hallucinants qui se perdent et se retrouvent. Le son est agressif et tendu même quand le tempo est modéré et l'ambiance mélodique. Cependant, ne vous attendez pas à trouver la même orgie sonore que sur des « Grand Funk Railroad » ou des « Black Sabbath ».(strictement, au niveau des décibels émis durant l'enregistrement). Simplement, on sent la hargne et la nervosité. L'orgue a un son démentiel car à l'époque, on savait fabriquer du bon matériel, et s'en servir. Bien souvent, quand un groupe de rock réussit à me surprendre au niveau de la gestion de l'agressivité, il ne tiens pas la route quand il fait des titres calmes et doux. Et bien pas là : la deuxième chanson est magnifiquement mélodieuse, très bien composée. On peut oser le terme « psyché ». Je dis « oser » car je suis en plein dans un article de fond sur le psychédélisme et je suis un peu frileux à exposer mes questionnements sur cette partie de la contre-culture qui me fascine mais me révolte par ce qu'en ont fait certains acteurs. Bref. Weed a du culot, et le culot, j'adore ça. Troisième titre : l'on se dit : « Tiens, ma chaîne stéréo a un soucis, le son est bien faible... » Mais, ah ah ah... C'est simplement qu'en se rapprochant un peu des enceintes, on peut découvrir une faible introduction au piano (mais fortement jolie) qui précède un riff groovy à foison, et toujours cette voix chaude, presque suave, sûre d'elle et détachée dans le même temps. Le quatrième titre est un blues-rock bien senti, certes classique mais efficace et sans remplissage, juste ce qu'il faut où il faut. La fin du disque est certes moins surprenante que le début, mais les trois derniers titres ne dénoteraient pas sur un album de Creedence Clearwater Revival ou de Jimi Hendrix. C'est pour vous dire le niveau du feeling que dégage Weed. Écoutez les solos tordus en tous sens à l'aide de votre casque : vous serez surpris par le travail de stéréo qui a été minutieusement soigné. La dernière chanson, nommée « Weed » débute sur un tempo classique de Rythm'n'blues et fait partir la cadence dans une bruyante cacophonie, semblable à celle qui avait initié l'auditeur une fois lorsque la fonction « play » fût activée, trente minutes avant. De nouveau facile à acheter (réédité en 2004), cet album est le seul et unique du groupe, et à ce titre il mérite toute votre attention. Weed n'a jamais fait, ne fera jamais de mauvaise musique. Un cadeau à la fois frustrant mais rassurant. Ah, si le talent payait ! Si la justice pouvait avoir le droit d'exister dans ce misérable bas-monde ! Si... ! Mon institutrice, blasée par mes questionnements incessants lorsque j'étais en CP, me dit un jour : « Avec des Si on mettrait Paris en bouteille ». Depuis j'ai souvent pensé à cette grande ville sous une méga couche de verre, ses habitants prisonniers...N'hésitez pas à donner votre avis sur le site de Froggy's, ça m'intéresse fortement ! Bonne bourre... Loic « Silence » Devigne __________________________________________________________ CUT-UP N° 1
-Note au lecteur : cette méthode d'écriture (et d'art visuel) mise en œuvre et appliquée depuis les années 1950 par Bryon Gysin puis reprise par William Burroughs, entre autres, n'est, du coup, en rien révolutionnaire ni novatrice. Elle m'a, cela dit, beaucoup absorbé, ayant pris du plaisir à faire cela et plus que ça, c'est une méthode qui provoque sérénité, satisfaction, et surtout excitation et attrait à la relecture (les nouveaux mots et phrases prennent un nouveau sens exaltant). Ceci est vrai, bien sûr, si l'on considère un cut-up comme réussi, c'est à dire « parlant », car il y a bien sûr des cut-ups, comme dans tous les domaines, qui sont ratés, dans le sens où ils ne dégagent rien, ne parlent pas ni à son auteur ni à un lecteur. J'aime celui qui suit. Petit rappel: le cut-up écrit consiste à découper plusieurs mots ou phrases de sources différentes et à les mélanger pour créer une nouvelle source écrite, du coup personnelle et originale. Considérez donc ce texte comme, par exemple, un concert de reprises des Ramones faits par de petits rockeurs passionnés, fans et enjoués, qui se font plaisir. Peut-être trouverez vous du plaisir en lisant ce « Revival beat ». La technique n'est pas la mienne, mais je me suis approprié des phrases, et en ce sens, c'est une jouissance non négligeable... D'autant plus qu'il s'agit de mon premier « micro-roman », une forme de fiction furtive. Enfin, je pratique le cut-up par l'image (montages, collages, découpages, assemblages) depuis mes dix ans environ, donc il me semblait être un processus normal que d'aller vers le cut-up de phrases, au moins de temps à autres. Tout est parfaitement naturel. La narration accouche du mélange, le mélange engendre, au sens littéral , une fiction avec un sens original, nouveau, et, si on l'apprécie, un réel impact sur le lecteur potentiel. Pour être honnête, j'ai fait des tas de cut-ups qui me semblaient minables, et que j'ai donc détruit. Mais celui-ci parle, et me parle. De plus, la taille de ce « micro-roman » fait que le lecteur moyennement accroché ne s'ennuyera pas des heures. Je ne citerai pas les sources, le matériel utilisé pour parvenir à ce texte, mais je peux simplement préciser que,pour faire un bon cut-up, il faut, entre autres choses, de bons matériaux. Des matériaux qui ont la légitimité d'être mêlé avec d'autres, des mots et des phrases qui intéressent l'auteur. Car tout art, s'il n'est pas apprécié premièrement par son auteur, a peu de chance de frapper fort dans l'esprit d'un public. Lisez donc, et n'oubliez pas qu'il s'agit d'un roman policier avec beaucoup de suspens (la vérité n'apparaît qu'à la toute fin de l'intrigue) et une histoire d'amour touchante et émotionnellement forte. Tout ce qui fait un bon bouquin. INTRODUCTION : Six visages couleur or-bleu-jaunâtre dénoncés par une turbine allant à la rigueur troublée de jade, m'empêchent un petit peu des douleurs spasmodiques des voies biliaires. Il s'avère si le temps le permet de 62,25 mg du phloroglucinol avec des jets éblouissants et des voix du genre : « Amour, gloire et beauté » ou-et « rien ne vaut mieux le matin qu'un chien tu l'auras ». C'est effectivement à vous de voir si la cassette-frelon est bien en place. CHAPITRE 1 : Et ce gars qui foutait le visage sans vergogne ni la prophylaxie le sauvera des ammanites tue-vestibules. Ce n'est qu'en répréhension allocataire que son codex alla à l'autre bout du slip : il s'en voulait peu ou prou car la genèse de Belphégore l'emporta sur la rive centrale du fleuve « belles nuits » tisane pour crève-la faim. Selon, encore soit-il en rémission de tous tes péchés, un flux de Gommore (Sodome piottait encore à l'heure du savon) qui lâcha cette fois seulement un crash digne ou peut-être pas d'une implosion interne au temple du Macchu-Picchu ainsi que Brumeville l'a annoncé hier aux machines à laver ainsi qu' à ta mère-chérie, cet appareil à fluide intense devenant gros gros gros gras et peut acheter de la sérotonine en cas de psychose non compensée par l'arbitre de touche, qui lui-même fût un soldat chez les Rolling Stones lors de leur atterissage forcé (sans forcer autrement que par la cloison nasale et le continuum rectoscopique que les petites fermières ont apportées pour le goûter des crétins de Bunuel). CHAPITRE 2 : Trente comprimés sécables ont chroniqué les apparitions lumineuses comme les japonais le 27 octobre 1180, une même Passion outre le traditionnel bouche à oreille, semblable à une nacelle en terre, s'envola la nuit mortelle chez l'enfant de la province de Kü . « Une super ambiance au sein du club » conduisait un véhicule de chloridrate suivi par un genre de globe lumineux 10 mg : construction d'un collectif à ne pas délivrer car l'être étrange en habits collants se finira en eau de boudin. Respect pour mon caca tel qu'il avait déposé son mouchoir en papier, celui qui finit dans le poisson on le mange les résidus cancer du cuir chevelu sans séquelles apparentes. CHAPITRE 3 : Moctezuma a lancé Pizarro et tir à la dernière minute du temps additionnel car Christ un meunier sans histoire réverbération qui sonne et a accéléré tout à coup de massue ! Quel action, mon vieux de la vieille, le témoin Edward Teeple des cercles de feux disant tout bas : hé ma soupe, et mon ostie ! La shooteuse sale est fin prête pour l'innoculation joyeuse d'un syndrome de punk-rock à la Madonna. Le ballon rond a suffi en son propre inconscient. EPILOGUE : Si le goal en cas d'ingestion (réglementé en bas du stupéfiant) croise Blind Lemon Jefferson sa guitare bien propre sur lui risque de tâcher « Il était une fois la vie », sachant effectuer à caractères différentiels des microfilaires sanguicoles basé, et seulement hier et demain, sur du méconium écarlate. L'attitude en goutte épaisse devenue un peu jalouse et mal à l'aise chez les petits ovoïdes violets, entre chien et loup, le drône d'une équipe dynamique et performante (J'avais prévu un petit mot pour un con) très mignon et à taille humaine. Merci de votre test riginal attestant de la plus grande campagne. Et but ! Oh mon salaud adoré, confié certiforme l'affirmera tôt ou tard, comme le veut la tradition régulée depuis, disont, perpétuellement déprimé. Pensez-y, s'il vous plait. |
LE CAME DE JESUS
Un Jésus nacré sculpté sur un camé Me fait signe de la main, comme un ami au loin M'approchant du bijou, par ce beau rendu fou Ne me doutes de rien, et le porte à la main Aussitôt emporté, le camé a chanté une mélodie étrange, semblable à celles des anges Par cela aliéné, ne me rend compte de rien Un court instant passé, je me transforme en chien La magie du trésor, perverse donneuse de mort de Jésus est passée au Diable en chair et os Du seigneur a volé, l'image et puis la prose Car en effet Satan, vicieux au plus haut point M'a berné de son chant, paroles de baratins Etant devenu chien, et l'un des plus féroces Condamné à errer, à mordre jusqu'à l'os Les enfants peu âgés, les vieux et les mendiants Pour leur inoculer mon vilain jus puant Et une fois la morsure ayant fait son travail Les bons gens de nature deviennent des mauvais ouailles Méfiez-vous d'un camé, même si Jésus y gît Peut-être est-ce un damné rêvant d'ôter la vie A divers innocents, pris par la véhémence Et le sang ruisselant, trophée de la vengeance Des âmes si torturées, au devenir malsain Viendront vous enterrer, au soir ou le matin Portez donc attention aux camés de Jésus Ils peuvent être illusion, être un Satan qui mue. Il me faut repartir, marcher les crocs devant Condamner à courir derrière des faibles enfants. Retenez la leçon, faites-vous bien vigilants Satan n'est pas si con, son masque est épatant. Le camé de Jésus, fétide, pervers, puant, Est, si vous l'avez eu, un drôle de châtiment. ________________________________________________________________________________________________________________________ |
FLOTTEMENT DE L’ÂME QUI SAIGNE
Je ressens parfois un état d'âme très particulier, et surtout fort désagréable. Comme si je portais tout le poids de la misère humaine sur le dos. Comme si tout était tempête de fureur et que tout allait éclater d'un instant à l'autre. Comme si j'étais le seul à le savoir, mais que l'humain n' est pas assez fort pour gérer ses propres contradictions et le principe d'infini qui parfois m'entraîne dans son sillage.
Il s'agit d'une sensation de vide complet rempli de dépression mélancolique exacerbée, de peur ultime, de regard hanté par les souvenirs heureux du monde et de ma vie, qui paraissent et l'un et l'autre vains et voués à l'échec. Hanté par un ailleurs qui a peu ou prou existé (une société passée? Mon enfance? Ou mon imagination, mes désirs et rêves faits fantômes ?). Je flotte, ne sachant s'il s'agit d'un courant rapide m'amenant à l'abîme ou d'un lent mouvement de dérive sur un lac paumé, mort, erratique. C'est là que je ressens toute la dualité de l'humain, tout ce qui le fait naître et le tue. Ce n'est pas psychotique, ce n'est pas délirant, c'est juste glacial et sans oxygène. Et je ne peux m'empêcher de me demander : suis-je vivant, suis-je mort, prisonnier d'une âme qui stagne comme un point sur un cercle, sans départ ni arrivée, une simple ascension de pacotille, un faux-mouvement, un leurre.
L'odeur est celle de la putréfaction de l'amour, du désir, d'un éclat de rire, d'une larme couleur jade qui pèse une tonne et qui s'écrase sur le sol, provoquant des dégâts irréversibles : un séisme, un raz-de marée qui ne laisse de chance de survie à personne. Personne. Il n'y a personne. Il y a quelqu'un ? Hé oh !? Où êtes-vous ? On m'entend ? Le cri d'une chouette, c''est tout, et C'EST TOUT, c'est à dire que cela représente la totalité dans sa totalité. Cela fait beaucoup, mais, mon amour, tu sais bien que tout est relatif. Et je ne peux me contenter de tout. Donne moi une accroche, un repère, une caresse. Si seulement je pouvais naître, car ici tout est devenu sombre : désormais j'entends quelques voix éparses, et surtout des pleurs et un poids énorme. On ne veut pas de moi là-bas, j'irai donc tout seul au Macchu-Picchu, résistant dans mon dernier refuge à l'Inquisition moléculaire de l'humain. Je me suis fait sorcière noire hermaphrodite communiste handicapé inadapté chronique parlant le quechua tout seul sur le Grand Pic, là où les êtres de l'espace ont déplacé des blocs de pierre géants pour me construire ma demeure, là où l'on ne me trouvera pas. Je dors éveillé et je sens maintenant la lourdeur de ma respiration, de mon sang qui gicle, puis qui sort de mon corps par une machine à tuyaux, le purifiant et le renvoyant dans la jugulaire (ils appellent cela « circulation extra-corporelle »). Tout cela sent la mort. Je renifle et l'odeur fétide vient s'amasser sur mes parois nasales et puis sous mon cortex. Où est la potion ? Le remède antidote onguent produit magique qui fait tout couler raisonnablement ? On me l'avait promis. Injecté une fois en moi (en guise de test?) et me laissant en manque pour l'éternité. Il y a erreur sur la marchandise. J'ai payé par avance, j'ai signé, et on m'a eu. Je me rend au service contentieux, j'ouvre la porte, quelqu'un m'appelle : c'est mon tour, et c'est toujours la même vieille rengaine, tromperie écarlate. Je vais me faire justice moi-même, je vais accoucher de mon prochain, et je le câlinerais pour toujours. Je lui effleurerais les cheveux, je lui chuchoterais des mots-sucre, et l'on plongera l'un dans l'autre, pour la première et la dernière fois, l'unique fois. La vie est là, derrière ma vitre, au-dehors de ma bulle, et je briserais mes chaînes pour te tenir en moi. Espoir de l'âme qui saigne. Seras-tu encore à mes côtés ? Seras-tu mon simulacre favori ? Je te ferais humain, pour que plus jamais nous ne soyons séparés, pour que plus jamais ne coule le fleuve rougi par la souffrance. A bon entendeur.
Je ressens parfois un état d'âme très particulier, et surtout fort désagréable. Comme si je portais tout le poids de la misère humaine sur le dos. Comme si tout était tempête de fureur et que tout allait éclater d'un instant à l'autre. Comme si j'étais le seul à le savoir, mais que l'humain n' est pas assez fort pour gérer ses propres contradictions et le principe d'infini qui parfois m'entraîne dans son sillage.
Il s'agit d'une sensation de vide complet rempli de dépression mélancolique exacerbée, de peur ultime, de regard hanté par les souvenirs heureux du monde et de ma vie, qui paraissent et l'un et l'autre vains et voués à l'échec. Hanté par un ailleurs qui a peu ou prou existé (une société passée? Mon enfance? Ou mon imagination, mes désirs et rêves faits fantômes ?). Je flotte, ne sachant s'il s'agit d'un courant rapide m'amenant à l'abîme ou d'un lent mouvement de dérive sur un lac paumé, mort, erratique. C'est là que je ressens toute la dualité de l'humain, tout ce qui le fait naître et le tue. Ce n'est pas psychotique, ce n'est pas délirant, c'est juste glacial et sans oxygène. Et je ne peux m'empêcher de me demander : suis-je vivant, suis-je mort, prisonnier d'une âme qui stagne comme un point sur un cercle, sans départ ni arrivée, une simple ascension de pacotille, un faux-mouvement, un leurre.
L'odeur est celle de la putréfaction de l'amour, du désir, d'un éclat de rire, d'une larme couleur jade qui pèse une tonne et qui s'écrase sur le sol, provoquant des dégâts irréversibles : un séisme, un raz-de marée qui ne laisse de chance de survie à personne. Personne. Il n'y a personne. Il y a quelqu'un ? Hé oh !? Où êtes-vous ? On m'entend ? Le cri d'une chouette, c''est tout, et C'EST TOUT, c'est à dire que cela représente la totalité dans sa totalité. Cela fait beaucoup, mais, mon amour, tu sais bien que tout est relatif. Et je ne peux me contenter de tout. Donne moi une accroche, un repère, une caresse. Si seulement je pouvais naître, car ici tout est devenu sombre : désormais j'entends quelques voix éparses, et surtout des pleurs et un poids énorme. On ne veut pas de moi là-bas, j'irai donc tout seul au Macchu-Picchu, résistant dans mon dernier refuge à l'Inquisition moléculaire de l'humain. Je me suis fait sorcière noire hermaphrodite communiste handicapé inadapté chronique parlant le quechua tout seul sur le Grand Pic, là où les êtres de l'espace ont déplacé des blocs de pierre géants pour me construire ma demeure, là où l'on ne me trouvera pas. Je dors éveillé et je sens maintenant la lourdeur de ma respiration, de mon sang qui gicle, puis qui sort de mon corps par une machine à tuyaux, le purifiant et le renvoyant dans la jugulaire (ils appellent cela « circulation extra-corporelle »). Tout cela sent la mort. Je renifle et l'odeur fétide vient s'amasser sur mes parois nasales et puis sous mon cortex. Où est la potion ? Le remède antidote onguent produit magique qui fait tout couler raisonnablement ? On me l'avait promis. Injecté une fois en moi (en guise de test?) et me laissant en manque pour l'éternité. Il y a erreur sur la marchandise. J'ai payé par avance, j'ai signé, et on m'a eu. Je me rend au service contentieux, j'ouvre la porte, quelqu'un m'appelle : c'est mon tour, et c'est toujours la même vieille rengaine, tromperie écarlate. Je vais me faire justice moi-même, je vais accoucher de mon prochain, et je le câlinerais pour toujours. Je lui effleurerais les cheveux, je lui chuchoterais des mots-sucre, et l'on plongera l'un dans l'autre, pour la première et la dernière fois, l'unique fois. La vie est là, derrière ma vitre, au-dehors de ma bulle, et je briserais mes chaînes pour te tenir en moi. Espoir de l'âme qui saigne. Seras-tu encore à mes côtés ? Seras-tu mon simulacre favori ? Je te ferais humain, pour que plus jamais nous ne soyons séparés, pour que plus jamais ne coule le fleuve rougi par la souffrance. A bon entendeur.